Soirée débat et concert : Agroécologie paysanne, les acteurs d’une alimentation plus saine et plus durable

Dans le cadre de la campagne Biofermes, les associations SOL et Intelligence Verte ont organisé une soirée débat sur le thème de l’agroécologie paysanne, pour rencontrer les acteurs du projet et présenter en détail leurs objectifs. L’événement a été accueilli par la Maison de crowdfunding de KisskissBankbank le 16 novembre 2017, accompagné en musique par le groupe franco-québécois le Caribou Volant.

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Les experts sont intervenus autour des trois piliers du projet Biofermes : l’agroécologie, les semences, l’autonomie.

Pour rappel, le projet Biofermes vise à soutenir en France les paysans déjà établis et les personnes souhaitant devenir agriculteurs paysans avec un objectif commun : atteindre une autonomie économique et alimentaire, tout en protégeant et en restaurant la biodiversité de leur territoire.

L’agroécologie

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Phillipe Desbrosses, Clotilde Bato, Néha Raj Sing, Benjamin Joyeux

Avec Philippe Desbrosses (Fondateur de la Ferme de Sainte Marthe et précurseur du bio en France), Néha Raj Sing (Chargée des projets pour l’ONG indienne Navdanya) et Clotilde Bato (Directrice de l’association SOL).

L’agroécologie n’est pas simple à définir et à concevoir. En termes de culture, l’agroécologie regroupe un ensemble de pratiques et de techniques issues du monde paysan plus respectueuses de l’Homme et de l’environnement. Plus largement, l’agroécologie fait le lien entre les rôles social, économique, écologique, et politique de l’agriculture.

Parmi de nombreuses pratiques agroécologiques, Philippe Desbrosses cite notamment la problématique de l’enrichissement des sols en se fondant sur des modèles d’exploitation par rotation de légumineuse, comme pratiqué à la Ferme de Saint Marthe (Sologne). Cette dernière organise des actions pédagogiques et des formations auprès du grand public et de personnes souhaitant se reconvertir dans l’agriculture paysanne. Avec 6 autres petites fermes formatrices, la ferme de Sainte Marthe fait partie du réseau Biofermes.

Néha Raj Sing (chargée de projet de l’association indienne Navdanya) souligne un point fondamental: l’agroécologie est la solution pour réintroduire la diversité aussi bien dans les écosystèmes que dans nos assiettes. Aujourd’hui, Navdanya a notamment mis en place un conservatoire de semences qui répertorie plus de mille variétés agricoles et qui concentre dles connaissances locales des paysans. Depuis sa création, l’association a formé un million de paysan-ne-s à l’agriculture biologique. L’enjeu est autant plus actuel que 70 % des émissions à effet de serre dans le monde sont causées par la chaîne de production alimentaire.

Les semences

Avec Auriane Bertrand (Fondatrice de l’association Qu’est-ce qu’on sème ? et créatrice du projet Seed Tour), Pierre-Henri Gouyon (Chercheur et professeur du Muséum National d’Histoire Naturelle et de AgroParisTech) et Isabelle Champion-Poirette (Présidente de l’association Mille Variétés Anciennes).

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Conservatoire de semences de la Ferme de Sainte Marthe, Novembre 2017

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Auriane Bertrand, Isabelle Champion-Poirette, Pierre Henri Gouyon, Benjamin Joyeux

Les semences constituent la base de l’alimentation parce qu’elles représentent le premier maillon de la chaîne alimentaire (à la base des légumes). Isabelle Champion-Poirette est en charge du conservatoire de semences de Sainte Marthe. Depuis 1974, le conservatoire s’intéresse aux semences de variétés anciennes (en France comme ailleurs). Aujourd’hui le conservatoire répertorie environ 1 000 variétés comestibles. Sa démarche fait face à une érosion génétique des variétés potagères et fruitières depuis les années 1990. Prenons l’exemple de la tomate : 7 variétés existent aujourd’hui contre 30 début 1900 (source: Graines de vie). À l’instar de la tomate, les variétés anciennes sont progressivement exclues des circuits de commercialisation dans un contexte législatif favorable, favorisant les semences hybrides F1, plus faciles à produire.

Selon Xerfi, en 2017, 3 groupements de l’industrie semencière contrôlent 60 % du marché mondial des semences. Ceci a de fortes implications en ce qui concerne la résilience des productions, la gestion de l’environnement ainsi que la qualité nutritive des produits finis. L’association Qu’est-ce qu’on sème ? vise donc à transformer les comportements de consommation pour encourager le développement d’une agriculture fondée sur un choix conscient et libre des semences. Cette transformation passe par de l’information grand public sur l’état des lieux des semences, des actions concrètes pour faire prendre conscience au consommateur que ses choix de consommation ont un impact sur cet état des lieux des semences, et la proposition de solutions pour consommer différemment. La démarche de l’association s’inscrit donc dans un mouvement de transition écologique nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique et améliorer notre qualité de vie. Il s’agit d’une démarche inclusive qui peut être qualifiée d’intérêt général.

Pierre-Henri Gouyon livre un bref excursus historique afin d’identifier les racines de l’agriculture industrielle. Après la seconde Guerre mondiale, les sociétés produisant de l’azote pour les bombes ont cherché à se réorienter dans un autre secteur. C’est à ce moment qu’ils se sont tournés vers l’agriculture en créant de nouvelles semences, dépendantes de l’azote. Les variétés anciennes trouvaient alors de moins en moins leur place dans les champs, à mesure que les plantes dépendantes de l’azote proliféraient. Idem pour les pesticides: l’industrie chimique crée des plantes vulnérables dont la seule défense devient les pesticides. 5 kilos de nourriture issu de l’agriculture intensive équivaut désormais à 5 kilos de pétrole. Aujourd’hui les diversités à l’échelle mondiale sont minimes ce qui favorise la transmission rapide des maladies entre espèces similaires. Si, comme cela s’est déjà produit pour le soja en Amérique latine, une épidémie se propage au sein d’une variété représentant un monopole cela entraînera tout bonnement une famine à l’échelle mondiale. La diversité des semences est donc une assurance contre les accidents liés aux changements globaux. Le projet Biofermes se place dans cette logique en garant de la biodiversité agricole.

Micro Ferme de Sainte Marthe


Les grands groupes agroalimentaires commencent à prendre conscience de ce danger. Carrefour a initié une pétition pour défendre la diversité des semences.
Du point de vue légal cependant, de grands changements restent à faire puisque les semenciers constituent de puissants lobbies. La Contribution Volontaire Obligatoire (CVO) est une taxe que les agriculteurs doivent payer aux semenciers pour financer leurs activités de recherche de marketing etc. En 2015, cette taxe paradoxale, volontaire mais obligatoire, a permis de collecter plus d’un milliard d’euros aux nombreuses organisations professionnelles agricoles.

L’autonomie

Avec Joseph Morin (Maraîcher bio de la petite ferme La Renaudière et formateur du projet Biofermes), Jacques Godard (Paysan, militant de la Confédération Paysanne et co-président de l’association SOL ), Clotilde Bato (Directrice de SOL).

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Joseph Morin, Ferme la Renaudière Novembre 2017

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Jacques Godard, Joseph Morin, Clotilde Bato, Benjamin Joyeux

Il n’y a pas de taille idéale pour une petite ferme. Cependant, les producteurs bios exploitent rarement plus de 100 hectares. La démocratie alimentaire telle que nous l’entendons s’appuie sur ce format d’exploitation. Joseph, maraîcher de la ferme de la Renaudière, est autonome depuis 7 à 8 ans. C’est la preuve vivante de la soutenabilité du modèle agricole alternatif. Il produit ses propres semences et son compost, et il réduit chaque jour son utilisation d’intrants. Il possède une ferme de 2 hectares avec 3 serres et 5 potagers. Aujourd’hui une cinquantaine de variétés de légumes sont cultivées sur 5 000 m² (4 000 m² en extérieur et 1 000 m² en intérieur) en permaculture. Il effectue des formations bios avec l’association SOL depuis 1,5 ans, pour montrer qu’il est possible de vivre dans une petite exploitation de manière autonome.

Jacques Godard, paysan à la retraite, découvre l’agriculture paysanne lors d’un volontariat de 2 fois 2 ans au Burkina Faso. Là-bas, il travaille main dans la main avec les agriculteurs locaux pour trouver des systèmes viables. Il se rend alors compte que leur autonomisation est mise en déroute par les associations sur place qui déversent des sacs entiers d’excédents occidentaux peu chers, incitant la population locale à préférer ces produits. Mais c’est en France qu’il souhaite agir. Il utilise alors son expérience pour construire sa propre exploitation bio, en militant pour l’autonomie alimentaire, énergétique, d’eau, de logement etc.

La route de Jacques Godard a été semée d’embûches: face aux peu d’aides affectées à l’agriculture biologique et à une politique agricole qui favorise l’agriculture industrielle, il lui a été difficile d’avoir un statut d’agriculteur. Et ce malgré une installation en bio en 1987, et une surface de 5 hectares.

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Ferme la Renaudière, Novembre 2017

Clotilde Bato conclut que rien n’est plus important que de donner la voix aux petit-e-s paysan-e-s, témoins du changement progressif auquel nous faisons face. Ils sont la preuve même de l’importance de la diversité des semences, ou encore de l’importance de la formation notamment aux nouvelles technologies, utilisées à bon escient. Le projet Biofermes vise à faire germer de petites fermes agroécologiques et autonomes. Il permettra de renforcer le conservatoire pédagogique de variétés anciennes, de former des futurs-res paysans-nes à l’agroécologie et à la conservation des semences paysannes pour qu’ils puissent eux-même s’installer et de développer un réseau de fermes formatrices à l’agroécologie.


Il est aujourd’hui nécessaire de développer les liens entre les différentes organisations et initiatives anciennes et récentes qui composent aujourd’hui le milieu paysan, notamment au moment de l’installation, phase coûteuse et difficile. Les néo-paysans sont chaque année quelques milliers à faire le pas. Ils représentent 30 % des installations agricoles, soit deux fois plus qu’il y a dix ans. Une relève devenue indispensable à la profession, les enfants d’agriculteurs n’étant plus assez nombreux à vouloir reprendre le flambeau.

Article réalisé par Keren Abbou, Jemma Lemarchand et Francesca Luicia, bénévoles chez SOL

 

Pour en savoir plus sur les principes agroécologiques, cliquez ici …

Découvrez le témoignage d’Isabelle Poirette sur la préservation des semences en cliquant ici …

Lisez l’article de Jacques Godard sur les petites fermes en cliquant ici …

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