Interview de Bija Devi, gardienne de semences

Avril 2016

« Si on ne conserve pas nos semences, qu’allons-nous manger demain ? »

Bija Devi a 67 ans, elle est arrivée des montagnes de l’Uttarakhand à Navdanya, association partenaire de SOL, il y a plus de 20 ans. Elle a répondu aux questions de SOL sur son expérience de longue date en tant que gardienne de semences à Navdanya.

Pouvez-vous nous raconter vos débuts avec Navdanya ?

J’ai commencé à travailler dans le bureau de Navdanya à Dehradun sur Rajpur Road où on avait des terres pour cultiver. Là- bas je cultivais tous les graines qui nous été apportées par les membres de Navdanya, Vandana Shiva et les autres. Le gingembre par exemple à l’époque, produisait 3 à 4 kilos par plante, c’était épatant pour moi. En mars j’ai commencé à Dehradun et en juillet je suis arrivée ici, où se trouve actuellement la ferme de Bija Vidyapeeth. A l’époque il n’y avait pas de banque de semences, ni aucun bâtiment. Tous les produits allaient à Dehradun. Navdanya cultivait sur un terrain loué, sur la moitié d’un hectare partagé entre ici et Dehradun. La proportion des graines qui nous parvenait à l’époque était petite, des fois 5 graines ou 10 que l’on plantait, conservait et qu’on cultivait à grande échelle l’année d’après. Ensuite, Navdanya a acheté les terres sur lesquelles nous sommes aujourd’hui. Un premier bâtiment fût construit. Nous avions un bœuf et 3 personnes pour s’occuper des champs.

Combien de variétés étaient cultivées quand vous avez commencé ?

Quand nous avons commencé sur ces terres nous avions à l’époque 60 variétés de riz paddy. Un travailleur qui venait du Kerala et qui était en charge de la mise en culture et de la conservation de ces variétés de riz nous avait ramené ces variétés. Quand je lui ai demandé pourquoi il nous en ramenait autant, il m’a dit que d’où il venait ils cultivaient plus de 10 000 variétés et que ça allait augmenter d’année en année. Ensuite il nous a apporté 14 variétés de millet qu’il avait récolté et notamment de ragi (éleusine). En ce temps la production était très bonne notamment de tor (pois d’angole) malgré un sol rempli de pierres que nous devions en permanence retirer et que nous continuons à retirer !

Quand la banque de semences de Navdanya a-t-elle était créée ?

La banque de semences a été construite en 1995-96. Avant cela, la manière dont nous collections et préservions les semences n’était pas aussi bien organisée. On a au fur et à mesure acheté des équipements pour conserver les semences. Il y avait un grand nombre de rats à cette période, cela nous posait des problèmes. Certains ont suggéré de conserver les semences dans des pots en argiles mais cela posait le problème que s’ils se cassaient, les semences pourraient être mélangées. Nous avons donc préféré utiliser des sacs en coton dans lesquels nous pouvions également faire directement sécher les semences au soleil. Ensuite, nous avons essayé des boites en fer carrées mais elles avaient une ouverture trop petite, nous ne pouvions pas passer la main pour nettoyer les graines. C’est pour cela que nous sommes passés à l’utilisation de boîtes en fer rondes. Nous les utilisons encore aujourd’hui.

01-03 Navdanya Seed Bank (1)

 

Quelles sont vos activités sur la ferme ?

Je fais toutes sortes de travaux ici notamment les récoltes et le désherbage manuel. Aussi, je m’occupe des graines que l’on récolte et que l’on fait sécher avant de les conserver d’une année sur l’autre. Aujourd’hui, je viens de récolter une petite quantité de moutarde dont j’ai récupéré les graines (100g). J’ai collecté 10 ou 12 plantes ce cette moutarde qui est cultivée traditionnellement ici dans les montagnes et ce sera suffisant pour semer 0,4 hectares à la prochaine saison.
Je fais cela pour l’ensemble des variétés que nous conservons et qui ont besoin d’être chacune gérée séparément. Cela occupe la majorité de mon temps. Personne ne me dit ce que je dois faire, je prends mes propres décisions suivant les besoins de la ferme. Je n’ai aucune obligation.
[…] Je m’assure que les variétés ne sont pas mélangées et je suis quand les plantes sont prêtes pour la récolte puis le battage. Je fais tous cela.
[…] C’est mon expérience, je sais faire ça depuis que je suis enfant. Je sais reconnaître le moment de maturité des graines. De la même manière que les paysans peuvent reconnaître le lait de leur vache (rigole) ! Pourquoi ce ne serait pas pareil pour les semences ?

Pourquoi est-il important pour vous que les paysans indiens sauvegardent leurs semences ?

Si on ne conserve pas nos semences, qu’allons-nous manger demain ? Par exemple, je viens de récolter du curcuma, je vais en garder un peu dans le sol, les plus petits, que je replanterai en juillet. Au marché, on ne sait jamais ce qui est disponible. Je sais que le turmeric que je viens de récolter pousse très bien ici, nous le cultivons depuis un grand nombre d’années, il est fiable. Si on achète des semences de l’extérieur, nous ne savons pas ce qu’elles vont donner, personne se sait. Des fois aussi les paysans n’ont pas d’argent pour les acheter.
[…] L’important est de bien connaître à quel moment les grains sont murs et s’assurer que les semences conservées soient à l’abri de l’humidité.

Les variations du climat de ces dernières années ont-elles impacté la production?

L’irrégularité des pluies est le majeur problème de ces dernières années. Cette année, nous venons d’avoir un peu de pluie par exemple, ce n’est pas le bon moment, ce n’est pas bon pour les récoltes. Les blés et les autres récoltes ont besoin de pluie lorsqu’ils sont grands de 30 cm mais pas après. Les blés ont déjà fleuris et donné des graines, ce n’est pas bon d’avoir de la pluie maintenant.

Combien de variétés y a-t-il dans la banque de semences de Navdanya?

Exactement je ne sais pas, je sais qu’il y a 730 variétés de riz et qu’il y a plus de 200 variétés de blés et beaucoup d’autres variétés de toutes sortes. Cette année la production de blé est très bonne.
Toutes les variétés conservées dans notre banque de semences sont replantées chaque année au moment des semis.
Si on ne cultivait pas autant de variétés, notre travail serait plus facile. C’est facile de cultiver une ou deux variétés mais en cultiver plus de 1000 est très compliqué. C’est pourquoi nous avons besoin de beaucoup de main d’œuvre. Nous ne cultivons pas pour la production mais pour la conservation.

Pour terminer, auriez-vous une phrase ou un message pour les paysans et les citoyens du monde?

Les paysans devraient tous sauvegarder leurs semences quelles que soient les variétés qu’ils cultivent, c’est le seul moyen pour rendre les paysans prospères, pour assurer la sécurité alimentaire, pour la santé de tous dans nos sociétés.
Quand je donne des semences à un quelqu’un, je dis toujours que j’en donnerais une fois mais pas deux car la personne à qui je les donne doit cultiver ces graines, les conserver et les distribuer à son tour à d’autres paysans. Il y a toujours des personnes qui me redemandent des graines mais je leur dis : pourquoi est-ce que vous ne conservez pas vos graines ?

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