Apéro thématique: Consommer local de la France au Sénégal

Le 14 septembre 2016, au Pavillon de l’Eau à Paris, s’est tenue la conférence-débat autour du thème du consommer local. À cette occasion, nous avons eu le plaisir d’accueillir plusieurs intervenants : Papa Assane Diop (conseiller technique pour la FONGS, mouvement paysan Sénégal), Jacques Caplat (agronome, anthropologue, co-fondateur du Réseau Semences Paysannes et administrateur d’Agir Pour l’Environnement), Lionel Astruc (écrivain-journaliste, expert en développement durable et transition écologique, coordinateur de la Fondation Ekibio) et James Forest (botaniste, enseignant à l’École des plantes médicinales et formateur boulanger sur le projet de valorisation des céréales traditionnelles de SOL).

Cet événement, organisé en partenariat avec la Fondation EKIBIO, était également l’occasion de réaffirmer notre engagement dans le soutien à l’autonomie des populations paysannes.

Notre consommation, notre alimentation, sont des enjeux majeurs pour construire un futur meilleur mais aussi pour vivre différemment le présent. Il s’agit aujourd’hui de considérer ces différents enjeux, les impacts sur notre vie et les solutions qui peuvent être mises en place. D’où le sujet de cette conférence autour de la consommation locale.

À ce propos, nous avons proposé d’aborder les contextes français, pays de notre siège, et sénégalais, parce que nous y développons un projet dans ce sens.
Si ces pays ont des particularités bien différentes, il s’agit avant tout de se pencher sur une préoccupation commune et de partager les expériences et alternatives mises en place.

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La consommation au Sénégal

Les pays du Sahel ont actuellement recours à l’importation pour des produits de consommation quotidienne, tels que le riz, le lait, le blé. Le Sénégal est considéré comme un pays fortement dépendant des importations alimentaires (plus de 100 millions d’euros). Concernant le blé, il sert notamment à la fabrication du pain, devenu un produit de consommation quotidienne, une habitude qui ne s’est installée qu’au cours des dernières décennies avec les habitudes importées et plus encore une conséquence des accords de commerciaux avec l’UE.
Le Sénégal, selon Papa Assane Diop, présente ainsi une image de pays déficitaire, alors même que des avancées importantes y sont faites. Sur certains produits agricoles et horticoles, ainsi que sur la viande bovine, une quasi-autonomie est atteinte. Ce qui a permis cette autonomie est notamment le concours des exploitations familiales (petites fermes familiales) qui est le modèle dominant.
Papa Assane Diop, justement, insiste sur le fait que deux pôles méritent un intérêt particulier : le concours des exploitations familiales et l’accompagnement, que ce soit par l’Etat ou par la société civile.
Les exploitations familiales sont tout à fait adaptées pour parvenir à une certaine autonomie, une sécurité.
L’accompagnement de l’Etat se traduit quant à lui par des mesures de protections intérieures ; progressives, elles tendent à augmenter la production nationale.
Tout cela a un impact sur l’emploi, notamment agricole. Et il faut, dans ce contexte, se rappeler du lien entre le l’agriculture et l’emploi, puisque que justement une agriculture qui se remet en route est source d’emploi.
Du produit brut, il y a en effet plusieurs étapes, de la production, à la transformation mais aussi la mise à disposition des produits qui requiert réseau et organisation logistique.
Si on l’on veut donc penser consommer local, il faut traiter toutes ces étapes, à commencer par la production, d’où l’importance du soutien de production vivrière locale dans les exploitations familiales.

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Sur une valorisation des céréales locales au Sénégal

LA FONGS est liée à SOL depuis quelques années sur le projet de « Valorisation des céréales locales ». L’objectif du projet est de proposer une alternative au mode de consommation actuelle, de revenir à une relative autonomie sur des produits locaux de consommation quotidienne. Le projet intervient sur les toutes les étapes de la production, à la sensibilisation des consommateurs en passant par la transformation et la mise en place de réseaux de distribution. Cela favorise l’emploi des jeunes qui trouvent plus d’intérêts à se consacrer à ces activités plutôt que d’envisager l’exode vers les grandes villes ou l’étranger.
Le modèle des exploitations familiales a l’avantage de privilégier une multitude d’initiatives entrepreneuriales portées par les jeunes dans les villages. Sur le projet, beaucoup d’entres eux qui étaient déjà en activité se sont professionnalisés dans des domaines tels que la boulangerie, la restauration, la transformation des céréales en farine, grâce à un renforcement des capacités et un accompagnement technique.

James Forest, justement, s’implique dans la concrétisation de cela, en formant, dans le cadre du projet, des boulangers. Il mène également différentes études sur la valeur boulangère des céréales locales : la manière dont elles poussent, si elles sont digestes…, mais également sur leurs valeurs nutritionnelles.
Il faut savoir que le blé est arrivé il y a 50 ans et que le pain blanc a pris une place importante dans l’alimentation locale. L’initiative menée avec SOL et la FONGS est d’incorporer différentes céréales dans la fabrication du pain, tels que le mil, le maïs. Ceci étant établi, James Forest pointe le fait que la première étape reste toujours que les habitants acceptent cette transition et la mettent en œuvre.

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Qu’en est-il de notre consommation en France ?

Jacques Caplat et Lionel Astruc, tous deux experts dans leur domaine, nous ont exposé des analyses très instructives sur notre mode de consommation – analytique, théorique, mais surtout pratique, puisque c’est ce que tout un chacun peut mettre en place.
Selon Jacques Caplat, si le consommer local est important, il est aussi intimement lié à une sélection du mode de production. Les agriculteurs sont poussés aujourd’hui à une évolution dans leurs pratiques vers une agriculture biologique ou agro-écologique, mais qui se fait encore trop souvent par la culpabilisation.

La compréhension des enjeux actuels concerne bien sûr les professionnels mais également les consommateurs. Il est aujourd’hui nécessaire d’avoir une consommation plus responsable impliquant une production agricole différente du modèle dominant. Par exemple, en considérant la localisation géographique du produit consommé tout aussi bien que son mode de transport.
Aujourd’hui, le mode de consommation est beaucoup influencé par une question de séduction, mais la qualité alimentaire elle, a baissé.
Comme Jacques Caplat le souligne, en choisissant une consommation locale, on contribue à renouer le lien au territoire, à recréer une dynamique sociale. Les ressources humaines, les savoirs locaux sont ainsi valorisés.
Si nous prenions 10% de notre budget consacré aux courses au supermarché et que nous les réinjections dans des produis locaux, cela contribuerait à la création d’emploi, cela renforcerait la solidarité, le lien social.
Pour autant est-ce possible d’être à 100% locavore ? Lionel Astruc pense qu’arriver à 80% de relocalisation de notre consommation serait déjà un énorme progrès et serait suffisant.

Bien sûr, se posent également les questions des filières, d’une nouvelle organisation agricole locale et donc d’une nouvelle organisation du territoire.
En France, en cas de grève des transports, nous n’aurions que 24 heures d’autonomie alimentaire avant une pénurie. L’Ile-de France est par exemple autonome à moins de 5% sur certains produits.

Ceci étant, l’attente des citoyens est de plus en plus forte. Le problème pour beaucoup reste toutefois comment accéder à cette consommation locale. Il existe déjà nombre de structures, associations la facilitant, tels que les AMAP, et bien d’autres(un mode de consommation qui peine cependant à s’ouvrir à toutes les classes sociales.)
Un second frein, selon Lionel Astruc, est une perte de savoir-faire. En achetant des produits bruts, non transformés, aujourd’hui beaucoup ne savent tout simplement pas les préparer. En s’inscrivant pour recevoir des paniers de producteurs locaux, on peut en effet se retrouver face à des produits que l’on ne connaît pas. D’où des formations et des ateliers que dispensent associations et autres, tels qu’EKIBIO avec des projets qui défendent le lien entre la terre et l’alimentation. Par exemple, en soutenant un projet avec « Un plus Bio » qui accompagne les cantines vers le bio. Certaines mairies, grâce à cet accompagnement sont allées jusqu’à cultiver leurs propres terres.

Toutefois, on observe également que nombre de personnes sont prêtes à investir beaucoup d’énergie pour favoriser une consommation locale. Lionel Astruc nous a donné l’exemple de ce village du Marais poitevin dont des habitants se sont arrangés pour que la communauté de communes finance un atelier de conserverie, à la fois pour permettre aux particuliers de faire leurs conserves de produits locaux dans des bonnes conditions et pour que les producteurs puissent fiabiliser leur revenus.

Et qu’en est-il des de la responsabilité de l’Etat et des collectivités ? Quand des collectivités se décident à prendre des mesures pour privilégier une consommation locale, cela reste un levier important pour effectuer une transition. Par exemple, les cantines privilégiant des produits bio et locaux sont un excellent moyen de changer les habitudes et d’encourager le secteur agricole local. En France, nous comptons déjà 120 territoires en transition et ils se développentt de plus en plus.
Comme Jacques Caplat le souligne, il est possible de construire l’économie différemment en France. Pour cela, l’Etat doit également s’engager et peut changer le cadre pour que cela reste rentable pour les professionnels.

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Les enjeux de la consommation dans un contexte international

En relocalisant notre consommation, privons-nous les pays du Sud des importations ? Selon Lionel Astruc, pour beaucoup, relocaliser notre consommation revient à priver les pays du sud des importations que l’on ne va pas faire, de les léser. Pour lui, cette vision est simpliste. Manger local est aussi bien au Nord qu’au Sud, et à chaque fois que l’on avance dans cette démarche, on favorise la souveraineté alimentaire.

Différence entre sécurité alimentaire et souveraineté alimentaire

La sécurité alimentaire, c’est de pouvoir disposer d’aliments en quantité suffisante, de pouvoir y avoir accès, en qualité suffisante pour avoir une alimentation équilibrée, et qui soit résiliente, c’est-à-dire qui peut s’adapter aux changements climatiques et aux évolutions générales.
Comme le précise Jacques Caplat, la notion de souveraineté alimentaire est différente. Au niveau agricole, on cherche l’autonomie. L’autonomie implique un choix et donc pas de dépendance, de choses imposées. Il y a toujours eu des échanges alimentaires et ils se poursuivront. Mais les sociétés doivent pouvoir maîtriser leurs choix agricoles, ce que permettent les ressources locales humaines et économiques, ce qui les mènera vers une stabilité.

Selon Papa Assane Diop, les actes des Etats concourent à maintenir une agriculture conventionnelle. Alors qu’ils devraient également être tenus pour responsables du mode de consommation, par exemple en s’assurant de la disponibilité des produits avant d’instaurer des quotas d’importation.
Il est vrai également qu’il est plus difficile en Europe que dans les pays en développement de mettre en place une autre agriculture. Mais c’est aussi le rôle des citoyens de faire pression sur les décideurs.
Pour Jacques Caplat, s’opposer au TAFTA (partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) est une chose, mais il faudrait également s’opposer à l’APE (accord de partenariat économique) de l’Afrique de l’Ouest.
Dans ce sens, SOL propose d’ailleurs de signer la pétition contre les APE qui sera remise aux députés européens d’ici un mois.

Nous tenons également à remercier les intervenants ainsi que les participants pour vous être intéressés à ce sujet qui nous touche tous. Nous sommes tous concernés, en tant que consommateurs mais également en tant que citoyens ; plus de personnes sensibilisées se traduit en une avancée pour une alimentation plus responsable.

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