Apéro thématique : [ Alternatives Agricoles] « La solution pour mieux vivre demain ? »

Le 18 octobre 2017, SOL a accueilli avec plaisir Francois Leger, enseignant-chercheur à AgroParisTech ; Auriane Bertrand, présidente de l’association « Qu’est-ce qu’on Sème ? » et créatrice du projet Seed Tour et Audrey Boullot, responsable des programmes de l’association SOL, Alternatives Agroécologiques et Solidaires.

La soirée, animée par Clotilde Bato, Directrice de l’association, a été instructive et le débat avec le public très riche.

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Etat des lieux de l’agriculture française

François Léger a débuté la soirée en dressant le constat de la situation agricole actuelle en France. Du côté de l’industrie agro-alimentaire, tout va très bien : nous constatons une forte contribution du secteur au PIB français et les exportations se portent bien. En revanche, du côté des agriculteurs, c’est une autre histoire : 30 % des agriculteurs dégagent en liquidité moins de 350 euros par mois, ce qui est bien inférieur au montant SMIC en France. Le métier d’agriculteur rémunère peu les personnes qui travaillent. Ceux et celles qui souffrent le plus ne sont pas les petites fermes mais surtout les fermes standards (de taille moyenne) qui s’engagent dans une logique d’industrialisation. Ce phénomène a des conséquences directes sur DSCN6874BDl’environnement : dégradation de la biodiversité par l’usage de produits qui visent à protéger les cultures, pollution des eaux par l’usage de pesticides… Ces pesticides sont retrouvés dans nos assiettes avec un effet direct sur notre santé. Les maladies liées à ce que nous mangeons (obésité, maladies cardiovasculaire, diabète) et à l’environnement sont en hausse, de telle sorte qu’aux Etats-Unis le coût des maladies est supérieur au chiffre d’affaire du secteur agro-alimentaire ! Au niveau énergétique, quinze kilocalories de combustible sont nécessaires à la production d’une calorie alimentaire. Par conséquent, notre société supporte de moins en moins son agriculture. Il est alors nécessaire de réfléchir à de nouveaux rapports dans la production de notre alimentation avec des paysans devenant de véritables intermédiaires entre la société et la nature. Cela confronte deux modèles agricoles : un modèle capitaliste et une agriculture citoyenne, qui produit une alimentation saine, et liée à la nature. Aller vers l’agriculture citoyenne, c’est aller contre le modèle de l’agriculture productive et renoncer aux liens établis avec l’appareil technique et les intrants chimiques. On observe ainsi l’émergence d’une communauté d’individus qui partagent les mêmes valeurs, soutient un mode de production et de consommation en phase avec les défis environnementaux et de santé, sobre en ressources et respectueux de l’humain.

Face à ce constat, quelles alternatives mettre en œuvre ?

L’agroécologie, une alternative à l’agriculture conventionnelleMicro Ferme de Sainte Marthe

Audrey Boullot nous a parlé du mouvement de retour à la Terre de personnes issues de tous milieux professionnels qui veulent aujourd’hui produire pour eux même et leur communauté et aller vers un modèle alternatif. Seulement, les personnes qui ne sont pas issues du milieu paysan, font face à une démarche très complexe pour se réorienter. En effet, les structures formatrices sont peu nombreuses et manquent de ressources. Aussi, l’accès au foncier est une problématique qui reste très compliquée, les grandes exploitations étant très souvent favorisées. Un accompagnement global des politiques et des pouvoirs publics est nécessaire pour répondre à la demande des consommateurs et aux besoins des petits paysans pour aller vers un nouveau modèle agricole.

Mais qu’est-ce que l’agroécologie exactement ? Une définition par François Léger

L’agroécologie est définie comme une agriculture respectueuse de la nature. C’est l’idée de pouvoir concilier production nourricière et minimisation des impacts sur l’environnement. Cette définition est cependant assez réductrice puisque les pays du nord ont pu se développer grâce à l’industrialisation avec pour conséquence un impact environnemental négatif et une hausse désastreuse des émissions de gaz à effet de serre. Aujourd’hui, il est difficile de contraindre les pays du Sud à connaître un autre modèle de développement que le nôtre. L’agroécologie qui nous intéresse est apparue avec la naissance de l’agronomie moderne. C’est la capacité de travailler avec le système naturel, travailler avec la planète tout en acceptant de réaliser qu’il est nécessaire de réduire nos ambitions en termes de production. Seulement, cela n’est possible que si l’on remet en cause notre mode alimentaire et notre mode de consommation.

IMG_20170616_103627En effet, nous mangeons trop. Par exemple pour le bétail, avec la hausse de consommation de viande, il faut allouer une surface agraire de plus en plus importante dans nos campagnes pour produire des céréales et fourrages à destination de l’alimentation des élevages. Plus de 50 % des surfaces de céréales sont consacrées à l’alimentation du bétail. Si on réduisait notre consommation de viande, nous pourrions alors réaffecter cette part de la production de céréales à l’alimentation humaine, voir à des usages non alimentaires (biofuel par exemple).

Il est donc important de souligner que ne sont pas seulement concernées la nature et les agricultures, mais aussi l’ensemble de la société dans cette agroécologie. Il faut remettre en cause notre mode vie, la façon dont nous passons à table, passer plus de temps en cuisine, favoriser des modes de transports plus propres mais aussi nous créer de nouveaux centres d’intérêts. Il faut aller vers une production plus sobre : diminuer la surconsommation et le gaspillage alimentaire. La société toute entière est engagée. Il y a derrière cela un acte politique qui ramène la question de l’agroécologie à une organisation scientifique globale où il faut revendiquer la valeur de la société et les techniques cohérentes avec nos valeurs.

 La place des semences paysannes dans l’agriculture

 Auriane Bertrand, présidente de de l’association Qu’est-ce qu’on Sème, a créé le Seed Tour pour valoriser les semences paysannes.

Elle nous a rappelé qu’en France, le comité de contrôle de semence (aujourd’hui le Groupe d’Etude et de Contrôle des Variétés et des Semences) a créé pendant l’entre-deux guerres le Catalogue Officiel Français des Espèces et Variétés. Ce catalogue a été publié dans le but que les agriculteurs sachent ce qu’ils achetaient et pour garantir la bonne qualité génétique, germinative et sanitaire de leurs graines. Ainsi, acheter au catalogue serait la promesse d’avoir des rendements. Seulement, lors de la 2ème Guerre mondiale, la révolution chimique et le progrès en génétique donnent de la légitimité à l’activité semencière. Il faut rémunérer cette dernière pour ces efforts, les semences hors catalogues sont alors interdites à la commercialisation.

Le catalogue devient un outil monopolisé, les semences s’industrialisent, et aujourd’hui il y a trois groupements qui contrôle 60 % du marché mondial des semences. En 2015, la France domine le marché européen des producteurs de semences certifiées (qui respectent les critères du catalogue), notamment la coopérative Limagrain, premier semencier français. Une semence certifiée en France, l’est aussi en Europe ce qui lui confie se libre circulation.

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Pour que la variété puisse être sous certificat d’obtention végétale, elle doit répondre à trois critères : la Distinction, l’Homogénéité et la Stabilité (DHS). Le droit d’entrée par variété est de 6 000 euros !

Seulement, ce catalogue a plusieurs enjeux. Tout d’abord il se traduit par un appauvrissement génétique, seulement 120 espèces sont cataloguées alors qu’il y en a une grande diversité : jusqu’à 7 000 espèces. On perd donc en biodiversité, en goût dans nos assiettes, et en variété.

Le deuxième enjeu est la dépendance des producteurs aux prix et variété fixés par les semenciers. Cette dépendance est accentuée par des verrous biologiques : les semences hydrides F1 (variétés croisées quand elles sont très consanguines) sont des variétés à très haut rendement mais uniquement la première année ! Pour assurer sa rentabilité, le producteur va racheter les semences chaque année. Cela entraîne notamment une perte de souveraineté alimentaire.

Enfin, les semenciers créent des semences qui poussent correctement, mais à la condition d’utiliser des engrais et intrants chimiques, ce qui a un fort impact environnemental. Pour DSCN7159que cela change, de nombreux acteurs doivent agir : les entreprises privées, les producteurs, la recherche, les pouvoirs publics, la société civile, et les consommateurs. Aujourd’hui, des solutions existent, notamment grâce au Réseau Semences Paysannes qui favorise la diffusion des savoirs sur la reproduction des semences paysannes, et l’entraide entre agriculteurs ; ETC Group ou Inf’OGM qui sont des organismes de veille citoyenne sur le sujet ; et évidemment la société civile, avec des associations comme les AMAP, SOL etc. Pour faire changer les choses, il faut agir sur différents plans comme former les semenciers, sensibiliser l’opinion publique, développer les circuits courts, et assouplir les règles du catalogue.

Les semences paysannes n’ont de sens que si elles sont cultivées avec les bonnes pratiques d’agroécologie, souligne Audrey Boullot. Aujourd’hui, nous avons perdu 75 % des variétés qui étaient utilisés il y a un siècle (soit ¾ des variétés) et 90 % des variétés agricoles ne sont plus cultivées par les agriculteurs. Il y a néanmoins un regain de popularité des semences paysannes, qui vient des citoyens qui ont envie de voir plus de diversité dans leurs assiettes, des paysans, et aussi des restaurateurs qui veulent travailler avec des produits qui ont plus de goût. C’est très important pour les paysans, car en agriculture biologique il n’y a pas assez de semences produites pour répondre à la demande et aux pratiques biologiques.

De plus, ces savoir-faire qui étaient autrefois dans les mains des paysans, mais dont ils ont été dépossédés, doivent aujourd’hui être ré-enseignés et diffusés. De surcroît, les critères DHS ne sont pas adaptés aux semences paysannes : il faut faire évoluer les lois pour permettre aux paysans de les cultiver.

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Pour en savoir plus, des petites fermes qui font de la conservation de semences en France peuvent vous ouvrir leurs portes comme la ferme de Sainte Marthe (partenaire de SOL, pour le projet Biofermes France) ou la ferme Les Trembles (avec l’association Potage et Gourmands). En Inde se trouve l’association Navdanya de Vandana Shiva qui combat pour reconnaître la liberté des semences et lutte contre l’utilisation des semences conventionnelle. SOL travaille d’ailleurs avec l’association Navdanya en Inde depuis près de 10 ans. Elles ont notamment mis en place le projet « Les Graines de l’Espoir » qui sensibilise les agricultrices à l’agroécologie et à la conservation des semences paysannes, dans le but d’assurer la souveraineté alimentaire.

Article réalisé par Jemma Lemarchand, bénévole de l’association SOL 

Pour aller plus loin :

Découvrez le projet Biofermes France …

Lisez l’article sur le bilan du Tribunal Monsanto

Signez la pétition pour défendre les droits des paysans …