SOL en voyage d’échange au Sénégal et au Bénin : l’enjeu de la préservation des semences paysannes pour des modèles agricoles plus justes et durables

Juin 2023

En février et mars 2023, deux membres de l’équipe de SOL, dont l’un est également co-président de la Maison des Semences Paysannes Maralpines (MSMP), ont retrouvés leurs partenaires sénégalais de l’Association des Villageois de Ndem pour un voyage d’échange autour de la préservation des semences paysannes. Après quinze jours de formations, visites d’initiatives agroécologiques et partage de bonnes pratiques, le voyage s’est clôturé par la participation à la Foire Ouest-Africaine des Semences Paysannes (FOASP) au Bénin.

L’Afrique de l’Ouest est l’une des régions du monde les moins affectées par les influences du système agro-industriel international. En particulier, les semences paysannes restent largement majoritaires dans la production alimentaire de la région, nourrissant en moyenne près de 80% de la population. Contrairement aux semences issues de l’agro-industrie, celles-ci sont génétiquement diversifiées et adaptées aux contextes pédoclimatiques locaux, fruit d’un savoir-faire paysan millénaire de sélection améliorative de milliers de variétés arboricoles, céréalières, légumineuses et autres potagères. Ces semences sont un atout majeur pour faciliter l’adaptation des cultures aux changements climatiques et assurer durablement la souveraineté alimentaire de la région.

Pourtant, les assauts des grandes firmes transnationales de l’industrie agroalimentaire pour faire entrer, au nom de la sécurité alimentaire, l’Afrique de l’Ouest dans le marché mondialisé des semences industrielles, sont de plus en plus manifestes. Avec la complicité de certains Etats et fondations internationales, elles visent le contrôle monopolistique sur les échanges de semences par l’adoption de cadres législatifs et réglementaires copiés sur la législation européenne, le système UPOV, ou autorisant directement à la commercialisation des OGM, au détriment des systèmes locaux d’échanges de semences paysannes qui se retrouveraient de fait potentiellement illégaux.

Face à ce constat, SOL se mobilise avec deux de ses partenaires français et sénégalais, la MSPM et l’Association des Villageois de Ndem (AVN), pour préserver les semences paysannes. C’est dans cette perspective qu’un voyage d’échange a été organisé entre février et mars 2023 sur les sites du projet Biofermes Sénégal, co-porté par SOL et AVN depuis 2018 dans les régions de Louga et Diourbel, ainsi qu’auprès d’acteurs de l’agroécologie au Bénin.

Ce voyage a commencé par une formation sur les semences au sein du site agroécologique de Nguiguiss Bamba, à Mbacké Kadior. Co-président de la MSPM et coordinateur réseau chez SOL, Maxime Schmitt est venu partager son savoir technique, acquis aux quatre coins du monde, et sa vision politique sur les semences afin d’échanger avec l’équipe sénégalaise du projet. Durant trois jours, ils ont pu discuter de l’histoire de la sélection variétale paysanne, des défis politiques croisés entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest pour leur préservation. Les animateurs du projet ont également pu renforcer leurs connaissances en biologique végétale (notamment par une approche cyclique « de la graine à la graine ») et se sont exercés, au champ, à identifier, sélectionner et conserver les plans les plus adaptés des principales variétés cultivées, afin de commencer à constituer de futures variétés potagères paysannes. Les rencontres, très riches, nourries des récits passionnés de Maxime, ont permis de renforcer la prise de conscience sur l’importance du rôle de paysan et de paysanne vis-à-vis de la souveraineté semencière et donc alimentaire du territoire.

Suite à cette formation, une petite équipe composée de 2 salariés de SOL, Maxime et Gildas, chargé de projets Afrique, et de 3 membres d’AVN (le chef de projet Mame Samba Mbow, Cheikh Ngom et Amdy Ndiaye), a pu se rendre au Bénin pour visiter pendant une semaine quatre fermes agroécologiques, et participer à la Foire Ouest-Africaine des Semences Paysannes (FOASP).

Première étape au Bénin, la ferme-école SAIN, à deux heures au nord-est de Cotonou. Gérée par Pascal Gbenou depuis plus de vingt-cinq ans, cette exploitation a valeur d’exemple pour nos partenaires sénégalais. D’une superficie de 13 hectares, cette ferme-école réunie beaucoup des critères de réussite fixés pour le projet Biofermes Sénégal : des formations agroécologiques adaptées et professionnalisantes, une polyculture intégrée élevage-pisciculture-maraîchage-arboriculture-céréaliculture permettant à la fois l’autonomie alimentaire locale et la commercialisation de produits localement transformés, un atelier de productions phytosanitaires biologiques et d’engrais organiques, un méthaniseur fonctionnant intégralement à la biomasse végétale.

La petite troupe s’est ensuite arrêtée au Centre d’Expérimentation de Valorisation de l’Agroécologie, des Sciences et Techniques Endogènes (CEVASTE), reçu par les iconiques Père et Mère Jah. Membres fondateurs de la Fédération Agroécologique du Bénin, ils œuvrent depuis la fin des années 1990 à la préservation d’une biodiversité cultivée sur un espace de quatre hectares dans la forêt de Pahou, à une demi-heure à l’ouest de Cotonou. Mêlant préservation des semences arboricoles locales et activités de plantation, sensibilisation et plaidoyer pour la préservation de la biodiversité et la souveraineté alimentaire, ils veillent à restaurer un écosystème équilibré dans laquelle l’être humain sait trouver sa place, davantage tourné vers l’autonomie alimentaire que vers la rentabilité économique. Les enfants aussi s’y sentent bien : au cœur de la forêt se déploie une école primaire reconnue par l’Etat qui accueille 100 à 200 enfants par an. A l’image de ce que veut construire AVN à Mbacké Kadior, cette école propose, en plus du curriculum de formation classique, des formations pratiques en agroécologie, en artisanat et en transformation alimentaire, ainsi que sur l’histoire du panafricanisme. L’objectif : ancrer les savoirs dans le milieu écologique et éveiller les enfants aux problématiques environnementales et climatiques contemporaines.

L’équipe franco-sénégalaise a ensuite visité le cœur historique du Centre Songhaï, à Porto Novo, qui cherche à démontrer en pratique la possibilité d’un passage à l’échelle des pratiques agroécologiques, en les inscrivant dans un système de filières commerciales intégrées. Sur près de 730 hectares au Bénin et une quinzaine de sites dans toute l’Afrique, le modèle Songhaï repose sur l’exploitation des synergies positives entre élevages avicole, ovin, bovin, la pisciculture, le maraîchage et l’arboriculture, permettant de réduire massivement la dépendance aux intrants externes. Ce système invite à réfléchir à une autre approche du développement des projets agroécologiques, plus soluble dans le système capitaliste dominant, qui se saisit des recettes marketing et commerciales de l’agro-industrie pour faire la promotion de pratiques plus pérennes et saines.
Ce voyage a aussi été l’occasion pour les membres d’AVN de rendre visite à Maxwell Hangbe, agriculture maraîcher béninois indépendant qui était venu sur les sites agroécologiques de Mbacké Kadior quelques années auparavant dans le cadre d’une initiative similaire. Les retrouvailles furent particulièrement chaleureuses ! Maxwell entretient depuis six ans un périmètre agroécologique d’un hectare, « Biosphère et tradition », sans n’avoir jamais reçu aucune subvention, ni investissement capitalistique initial. Particulièrement inspiré par le projet Biofermes Sénégal, le tout jeune papa qu’il est devenu espère bientôt dégager des revenus suffisants pour s’occuper de sa famille.

Le voyage d’échange s’est conclu par la Foire Ouest-africaine des semences paysannes (FOASP), rassemblant pendant 3 jours à Zoungbonou, à trois heures au nord-ouest de Cotonou, près de 300 acteurs et actrices du monde des semences paysannes issu∙es, d’une vingtaine de pays. Ce rendez-vous, organisé par le Comité Ouest-Africain des Semences Paysannes (COASP) avait pour thématique le « Droit des paysans face à la montée en puissance des Organismes Génétiquement Modifiés dans l’agriculture et l’alimentation ». Lors de sessions plénières, les questions de la généralisation de l’inscription à un catalogue officiel des semences ouest-africaines (calquée sur le système UPOV) ou de la permissivité des législations à la commercialisation des OGM, ont pu être frontalement abordées et débattues, laissant émerger un consensus relatif d’opposition face à l’importation des systèmes législatifs occidentaux d’encadrement du marché des semences.

Pour les membres d’AVN, cette foire fut également l’occasion de faire le plein de nouvelles variétés potagères et légumineuses, ainsi que d’échanges fructueux avec des paysans et paysannes partageant in fine souvent les mêmes problématiques et défis au sein de leur exploitation, renforçant le sentiment de cheminement collectif. Maxime en a quant à lui profité pour présenter les initiatives de mise en réseau de la MSMP en France et en Europe, concluant par l’annonce de l’organisation de futures rencontres internationales des semences paysannes, en octobre 2024 en France, afin de poursuivre cet élan solidaire de préservation du patrimoine semencier commun des paysans et paysannes des cinq continents.