10 Mai Apéro thématique: [Biodiversité] « Quels droits pour protéger la Nature? « 

Le 10 mai 2017, SOL a accueilli avec plaisir deux grands experts et auteurs sur la biodiversité, l’écocide et les droits de la Nature : Valérie Cabanes, juriste en droit International et co-organisatrice du Tribunal Monsanto et du tribunal international des droits de la Nature (COP21) et Noël Mamère, journaliste, documentariste et homme politique français engagé sur les questions environnementales et de protection de la biodiversité. La soirée, animée par Benjamin Joyeux, juriste en droit international de l’environnement, a été instructive et le débat avec le public très riche. Monsieur Jacques Boutault, maire du 2e arrondissement de Paris, nous a même fait l’honneur d’introduire l’événement.

Un droit occidental lacunaire

Valérie Cabanes débute son intervention en nous rappelant le déni de nos sociétés face à la dégradation générale de l’écosystème planétaire et aux droits dont la Nature devrait être dotée. Elle nous demande par ailleurs de remettre en question les fondements du droit occidental. Le principal problème qu’elle soulève reste le fait que beaucoup d’occidentaux ne considèrent pas l’Homme comme vivant dans un milieu systémique, ni que l’Homme est une partie de la Nature. Contrairement aux peuples autochtones, qui considèrent n’être qu’un maillon du vivant, nous ne considérons pas que nous faisons partie d’un tout, notamment à cause de nos mœurs religieuses ou culturelles, comme le souligne le droit à la propriété privée.

Il découle également de cette idée, une vision pyramidale de la société et du monde où l’homme se retrouve au sommet d’une hiérarchie qui touche tous les niveaux.

P1440739L’explication historique est simple : le droit occidental s’est construit autour du Droit des gens dont le Droit international et les « Droits de l’Homme » découlent, mais aussi autour d’un droit commercial afin de réglementer les échanges entres puissances coloniales. Aujourd’hui ce dernier trouve son apogée dans les règles du libre-échange. Le Droit international est perçu comme un gage de paix, d’autant plus depuis les deux guerres mondiales du XXe, mais il a atteint ses limites car la sûreté de la planète est menacée par la crise écologique.
L’écosystème terrestre est le grand oublié de notre droit et n’a pas encore de statut juridique. Pour résumer, nous avons donné plus de droits à des entités virtuelles (comme les sociétés) qu’à des entités vivantes.

Le second frein au droit de la Nature est lié aux multinationales qui font pression sur le droit dans un intérêt économique, avant de soutenir des réalités scientifiques. Un fort lobbying de leur part sur les institutions législatives et judiciaires, à différents niveaux, se joue alors. Par exemple, certaines multinationales font pression pour protéger l’extraction des matières premières, qui sont au centre de leurs activités. Elles tentent ainsi de faire régresser la protection des droits de l’homme et paralysent d’une manière ou d’une autre la progression des droits de la Nature qui risquent de mettre à mal leurs activités.

Comme le souligne Valérie Cabanes dans son dernier livre « Un nouveau Droit pour la Terre », à l’heure actuelle le droit est mal outillé pour que le citoyen puisse demander des comptes aux entreprises transnationales et que les crimes environnementaux les plus graves soient reconnus, notamment à l’échelle internationale. C’est pourquoi, les juges du Tribunal Citoyen Monsanto, qui ont rendu leur opinion juridique le 13 avril 2017 à La Haye, affirment la nécessité de reconnaître le crime d’écocide.
En effet, nous sommes face à un défi que le droit doit relever, notamment en termes de responsabilité transgénérationnelle. Aujourd’hui, nous avons le devoir de permettre aux générations futures de vivre au mieux dans un monde préservé, au pire dans un monde semblable au nôtre. Pourtant il semble nécessaire de remettre en question nos actes et ceux des générations précédentes : nous sommes actuellement face à une sixième extinction des espèces. Face à ce constat, Valérie Cabanes s’interroge : Allons-nous être les prochaines victimes de l’extinction que nous avons engendrée ?

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Injustice sociale rime avec injustice environnementale

Noël Mamère constate que nous faisons partie de la société de la démesure. Il précise que nous cherchons désespérément à retrouver la croissance des 30 Glorieuses comme le Graal alors que nos économies ne peuvent plus suivre ce rythme. Il le développe d’avantage le documentaire « l’urgence de ralentir » de Philippe Borel auquel il a participé. Il souligne également que nous avons aujourd’hui les outils qui pourront faciliter et protéger l’avenir mais notre société met plus volontiers cette puissance au service de l’intérêt personnel. Par exemple, les OGM sont-ils un véritable intérêt pour nous, alors qu’ils sont non-reproductibles, épuisent les sols et impactent durablement la biodiversité ? Ne sont-ils pas seulement plus intéressants pour les entreprises qui les produisent ?

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L’injustice sociale et environnementale sont intiment liées comme le souligne Noël Mamère. Les personnes les plus vulnérables et les plus marginalisées socialement sont aussi les plus exposées : elles subissent en somme une double peine. Par exemple, beaucoup de personnes dans des situations précaires fuient leur pays à cause des problèmes climatiques et cette tendance n’ira qu’en s’accentuant dans les années à venir. Les changements climatiques peuvent donc être un facteur de conflit et de marginalisation. Par exemple, il est intéressant de noter que c’est à la suite de nombreuses sécheresses que la Syrie a connu un fort exode rural ces dernières années. Et nous ne pouvons pas exclure ce facteur parmi les causes qui ont provoqué les conflits que le pays connait actuellement. Le même constat peut être fait avec la crise alimentaire au Soudan du Sud.

Il faut se rendre à l’évidence : l’environnement est un traceur d’inégalités tout autant au niveau international qu’au niveau local.
Nous sommes tous biens conscients de n’avoir qu’une seule planète et que contre toutes ces injustices, il faut désormais agir et être solidaire.

Agir au niveau local et international pour protéger la Nature

Le problème de la reconnaissance des droits de la Nature est planétaire. Nous sommes tous concernés et comme le souligne Noël Mamère, il faut trouver des moyens pour mettre en œuvre un droit protecteur à différents niveaux. Nous devons nous concentrer, par exemple, à minima, sur l’échelle européenne. L’Europe doit être un appui solide pour la construction d’un droit de la Nature et de la protection pour la biodiversité.

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Nous faisons de petits pas au niveau local mais nous devons également impliquer des institutions plus importantes. Les deux intervenants sont d’accord pour souligner l’importance, par exemple, de la Cour Pénale Internationale (CPI) qui est une entité supra-étatique. L’idée est de mettre en place une cour de justice permettant de recourir à l’incrimination d’écocide et que cet acte soit reconnu comme un « crime contre la paix ». Ainsi ce recours serait reconnu à l’international et toucherait des entités morales, des chefs d’Etats ou des PDG de multinationales. Il pourrait être utilisé autant en temps de paix qu’en temps de guerre et être reconnu même si il n’est pas directement corrélé à des victimes humaines. Poser un cadre international permettrait de protéger les actions locales et de réorienter les activités présentant un risque écologique majeur. Par exemple en poursuivant les entreprises qui provoquent un accident environnemental, alors qu’elles étaient pleinement conscientes des risques. En guise d’illustration, Valérie Cabanes nous présente le cas de la centrale de Fukushima pour laquelle, ses dirigeants connaissaient les risques de construire la centrale de cette manière, à cet endroit.

P1440693Ce combat est très difficile comme le montre les luttes locales contre les algues vertes ou la lutte des groupes écologistes européens pour la reconnaissance des atteintes environnementales après l’affaire du Rana Plaza (au Bangladesh) en 2013 ou encore la lutte contre l’effet nocif des hydrocarbures qui composent 82 % des polluants dans les océans. Mais la conscience écologiste commence à faire son chemin et apporte une solution quant à l’avenir des droits de Nature.

Il n’est ici pas question d’aller vers un système éco-totalitariste précise Noël Mamère. L’idée est plutôt de faire passer un certain nombre de messages pour favoriser une démocratie verte.

En définitive, peut-être que nous trouverons d’autres solutions pour protéger la nature en nous inspirant des peuples autochtones qui ont une vision systémique du monde. L’aide nous viendrait donc de peuples que l’Occident a soumis et a impacté par son abus d’utilisation des ressources naturelles et d’une destruction massive de la biodiversité. Ces peuples autochtones, dans leurs fonctionnements millénaires, sont habitués à vivre au plus près de leur environnement et entretiennent une relation de respect long terme avec la Nature. Ces lois implicites et collectives sont aujourd’hui bien loin de nos sociétés. Pourtant, si ces dernières veulent offrir un monde préservé à leurs enfants, elles doivent, dès maintenant, s’engager et réfléchir à la manière d’intégrer dans leurs modes de gouvernance la préservation des écosystèmes et de la biodiversité comme pivot du Droit, car préserver le vivant c’est préserver le futur de l’homme.

SOL remercie toutes les participants à cette soirée, Valérie Cabanes, end of an ecocide, Noël Mamère, Benjamin Joyeux, APOME, les bénévoles SOL, Food Sense Tour India pour les photos, l’association Saukaap pour le film et ses partenaires : l’entreprise Kaoka pour le chocolat bio et équitable et la Mairie du 2e arrondissement pour la logistique et l’accueil.

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