Luc Devaux : « C’est enrichissant personnellement, lorsqu’on arrive à multiplier certaines variétés oubliées et ensuite de les revaloriser en les partageant »

Octobre 2019

En février 2017, nous avions interviewé Luc alors qu’il venait de rejoindre l’équipe de la Ferme Sainte-Marthe Sologne, pour participer à la multiplication de semences du conservatoire pédagogique. Aujourd’hui, nous l’interrogeons de nouveau, pour connaître l’évolution du projet Biofermes Internationales France, et notamment sur l’aspect semences paysannes et sur son travail ces 3 dernières années !

SOL : Peux-tu nous parler de tes activités à la Ferme Sainte-Marthe Sologne et comment celles-ci ont évolué ?

DSC00313Au niveau de mes activités c’est très simple : je suis autoentrepreneur, ce qui me donne assez de libertés sur le site. Je gère principalement l’expérimentation et la recherche des semences de variétés anciennes et l’organisation du conservatoire. Ma principale mission concerne la partie production de semences. Globalement je gère la multiplication des lots de la chambre froide, dans un but d’expérimentation et de remise en valeur du conservatoire et des variétés anciennes. J’ai d’ailleurs réorganisé un peu toute la chambre froide. J’y ai retrouvé de nombreuses variétés traditionnelles, dont plusieurs qui sont en voie de disparition ! Je gère aussi toutes les variétés qu’on nous confie. Nous avons quelques partenariats avec des conservatoires régionaux dont l’URGC (Union des Ressources Génétique du Centre). Nous conservons toutes les variétés potagères oubliées de la région Centre-Val-de-Loire. Mon travail avec l’URGC est de les conserver, de les décrire et pour certains de les sélectionner. La finalité est de les diffuser aux paysans. Par exemple, dernièrement on nous a donné une souche du radis d’Orléans, vendu par Vilmorin jusqu’au début XXème siècle et retrouvé au Pays-Bas, pour lequel je sélectionne les caractères anciennement décris.

Par la suite, Isabelle [Isabelle Poirette a créé le conservatoire pédagogique de semences] va s’occuper de la partie valorisation et vente des semences, même si je participe à l’ensachage et à la promotion.

Par rapport à mes missions, celles-ci ont un peu évolué par rapport à mon arrivée, il y a 3 ans. Elles deviennent beaucoup plus concrètes. J’ai beaucoup plus d’autonomie, et plus de participation au processus de décision. Et finalement, je me rends compte que mon rôle est important pour le conservatoire car je le fais fonctionner sur le fond. C’est un travail qui s’est établi sur le long terme et le conservatoire résulte en partie de ces choix et de la façon dont je me suis organisé.

SOL : Tu nous disais lors du dernier entretien que tu étais intéressé par la partie reproduction de semences, mais aussi par le volet animation et formation de la ferme : est-ce qu’aujourd’hui, tu participes aux activités de formation et d’animation ?

Alors l’animation fait plus partie des activités de Véronique Bonaventure, qui assure les formations au sein du conservatoire, mais ça m’a toujours intéressé ! C’est vraiment enrichissant d’apprendre et de transmettre, c’est une grande valorisation ! Et puis ça permet de faire des recherches et de se perfectionner sur le sujet.

Formation semences

Formation autour des semences avec Véronique à la Ferme Sainte-Marthe Sologne

Généralement quand on fait de l’animation, ça nous force aussi à nous replonger dans des livres, à peaufiner la chose et à voir si on a bien compris ce qu’on veut transmettre justement. Donc oui ça m’intéressait ! Pour le moment, il y a seulement un stage dans lequel j’interviens 2 fois aux sujets de la législation mais également de la pollinisation par les abeilles sauvages et leur rôle dans la production des semences.

Souvent les stagiaires [suivant des formations au sein de la ferme] viennent me voir et me disent « On ne te voit pas dans les formations, c’est dommage, tu es le seul de la ferme », et ils ont souvent des questions à me poser. Récemment, nous en avons discuté avec Véronique qui anime la journée semences dédiée par Formations Bio, qui est la partie formation de la ferme. Ça ne lui posait pas de soucis, c’est super ! Mais c’est à construire. Lors de cette journée le but serait alors de valoriser au maximum le conservatoire et chacun des membres y participe afin que ça profite le plus aux stagiaires.

SOL : Peux-tu nous parler du conservatoire, des personnes qui le font vivre, de leur rôle et de son apport pour la ferme ?

ConservatoireLe conservatoire a beaucoup changé ! C’est sûr que quand il a été inauguré en 2017, il était tout beau. Puis pendant un an, il était utilisé seulement pour les formations. On se disait qu’il fallait vraiment développer les visites, parce qu’il n’y en avait trop peu. Grâce aux services civiques, et à celles de cette année surtout, à la notoriété qu’on est en train d’acquérir et à la communication grandissante, ça commence véritablement à être vivant. Chacun permet de le faire vivre en assurant une permanence telle une astreinte à tour de rôle lors des 3 après-midi d’ouverture par semaine pour assurer l’accueil des visiteurs.

Au printemps l’année prochaine, nous allons continuer la vente de plants à la ferme que nous avons réinstaurée cette année. Cette vente de plants crée une aura territoriale importante.
Nous avons aussi pour idée de recruter un service civique pour l’année prochaine, qui s’occupera de mettre en place une animation par mois, en utilisant le conservatoire en tant centre culturel territorial, où on projetterait des films alternatifs par exemple. Ce sont des projets supplémentaires pour que le conservatoire soit vraiment un lieu de ressources et de sensibilisation. C’est pour le moment principalement un lieu de visite et de découverte.

SOL : Combien d’écoles visitent la ferme durant l’année ?

Il y a deux, trois écoles qui passent… C’est aussi à développer. Ça c’est moins mon rôle mais c’est l’objectif en tous cas ! Après peut-être qu’on est encore trop peu nombreux sur la ferme et sur le conservatoire. Mais en tous cas il y a un potentiel énorme, son utilisation est encore à déployer !

SOL : Le jardin de semences permet l’alimentation du conservatoire. Peux-tu également nous parler de son évolution et du travail que tu as effectué pour cette réorganisation ?

Travail dans le jardin de semence de la Ferme Sainte-Marthe Sologne

Travail dans le jardin de semence de la Ferme Sainte-Marthe Sologne

Oui en fait le jardin de semences était à retravailler entièrement quand je suis arrivé pour le rendre plus productif. J’ai décidé d’y aller soigneusement et entièrement à la main. Donc ça m’a permis de me faire la main, et aujourd’hui il est entièrement cultivé !

Aujourd’hui encore je remarque qu’il est encore trop complexe. Il y a trop de variétés à l’intérieur et la circulation est encore parfois difficile, je vais donc le simplifier dès l’année prochaine. Sur les planches de cultures (plates-bandes) de 19m je mettais souvent 4 variétés et c’était trop difficile à gérer en production de semences. J’assurerai quelques associations de cultures quand cela est possible. Il est important que le jardin de semences soit beau et agréable parce que c’est aussi un support de formation, d’expérimentation, et les gens viennent le visiter.

A l’avenir je planifierai plus en abondance qu’en diversité, c’est-à-dire moins de variétés de légumes mais plus en quantité. On garde les mêmes surfaces de cultures en améliorant la qualité de notre production, et on aimerait que cette transition soit effective l’année prochaine.

SOL : T’occupes-tu seul du jardin de semences ?

Je suis aidé par une personne en service civique, qui travaille à peu moins de la moitié de son temps dessus, pour le moment. Et puis parfois nous recueillons l’aide de Renaud, un jeune jardinier en apprentissage à la ferme.

L’année prochaine, nous aimerions embaucher un temps plein supplémentaire sur la ferme pour développer davantage le conservatoire mais aussi créer une serre dans le jardin des semences, pour optimiser les circulations et perdre moins d’énergie. Nous cultiverons une petite parcelle de courges en agroforesterie dans le verger que j’ai planté l’année dernière avec l’aide de SOL et de ses partenaires. On aimerait bien aussi racheter des outils pour tout simplifier. Enfin voilà : simplifier le travail, augmenter la force de travail ce qui permettra de soigner d’autant plus la qualité finalement.

SOL : Et d’un point de vue plus personnel, quelles sont les thématiques qui te tiennent vraiment à cœur et que ton activité te permet de porter ?

Présentation de la chambre froide du conservatoire à Fallou, membre de l'ONG de Ndem avant la mise en place du projet Bioferme Sénégal - 2017

Présentation de la chambre froide du conservatoire à Fallou, membre de l’ONG des Villageois de Ndem, avant la mise en place du projet Biofermes Sénégal

Ce sont les semences, la diversité des graines, le fait de revenir à la terre, de cultiver… Tout ce lien entre la richesse, toute la diversité que l’humanité a pu créer depuis la nuit des temps, et qui est en train de se perdre, mais qui est formidable justement à reproduire. C’est fascinant de voir tous les goûts que ça donne ! Enfin c’est hyper enrichissant personnellement, lorsqu’on arrive justement à multiplier de nouveau certaines variétés oubliées devenues rares depuis longtemps et ensuite de les valoriser en les partageant. Par ailleurs, ce qui est le plus enrichissant dans le travail que j’effectue au conservatoire est le lien avec l’URGC, qui est l’Union des Ressources Génétiques de la Région Centre. Ils sont vraiment portés sur la thématique de valorisation du patrimoine légumier de la région, la relation avec les châteaux, les maraîchers et par la cuisine notamment.

Et justement en ce moment, on travaille entre autres avec les châteaux de Chambord et Chaumont-sur-Loire. Le 23 septembre, nous avons accueilli à la ferme de grands chefs cuisiniers de la région dont Didier Clément à Romorantin et de la France dont Olivier Roellinger de Cancale et les Frères Trois Gros de Lyon. Des chercheurs, un lobbyiste, des maraîchers étaient également conviés, ce qui a participé à une grande émulsion. C’est le plus enrichissant en fait : la valorisation de la graine à l’assiette, la valorisation des produits sur leur territoire, l’apport que ça peut avoir, l’émerveillement des gens… C’est agréable de donner du rêve … Tu te sens valorisé dans ton travail. Et quand tu sens que tu fais quelque chose de bien et que finalement les gens en profitent, comme lorsque l’on donne des graines, c’est vraiment gratifiant !

Par exemple, il y a une variété ancienne de chou navet qu’on a retrouvée, le chou-navet de St Marc. Cette variété était oubliée et quasiment perdue, et finalement on l’a retrouvée ! Après une germination périlleuse, j’ai réussi à cultiver 20 porte-graines, et on se retrouve maintenant avec plusieurs milliers de graines. Un résultat très gratifiant que j’ai transmis entre autres au conservatoire du Centre.

C’est tout ce travail qui est passionnant : de redécouverte, de conservation, de valorisation, et de remise sur le marché.

SOL : Oui c’est une thématique qui touche de plus en plus de monde. Ce doit être valorisant de se dire qu’on a réussi finalement à rendre ce sujet plus abordable au plus grand nombre !

Echange sur les semences avec Maxime Schmitt, Coordinateur réseau de SOL en charge du projet Maison de Semences Paysannes Maralpines

Echange sur les semences avec Maxime Schmitt, Coordinateur réseau de SOL en charge du projet Maison des Semences Paysannes Maralpines

Oui tout à fait et c’est vraiment ancré dans les valeurs d’aujourd’hui. On sent que ça touche les gens profondément, et tout le monde ! On sent qu’il y a plein de choses à faire. Et qu’il n’y a pas assez de conservatoires ou maisons de semences en France. Ils sont souvent peu valorisés, il n’y a pas assez d’argent pour les faire vivre… Je connaissais un conservatoire en Normandie (Montviette Nature à St Pierre sur Dives) justement qui est géré depuis 30 ans par la même personne, Chritiane Dorléans. Elle va voir des personnes âgées pour récupérer des graines et faire des enquêtes sur la façon dont elles valorisaient les variétés anciennes. Elle est aujourd’hui sur le point de transmette mais elle ne sait pas comment ça va reprendre notamment par les financements de l’association. De nombreux conservatoires comme celui-là ne demandent qu’à être développés.

SOL : En 2017, tu nous avais parlé d’une étude que tu avais menée sur les pollinisateurs sauvages à la Ferme du Bec Hellouin. Est-ce que tu as envisages d’entreprendre d’autres recherches sur cette thématique ?

Oui, oui ! Il y a beaucoup de choses à faire ! Philippe Desbrosses, (propriétaire de la Ferme Sainte-Marthe Sologne, fondateur d’Intelligence Verte) mène beaucoup de recherches. Comme la recherche sur les endophytes. Les endophytes sont des micro-organismes qui vivent au sein des graines. Philippe Desbrosses m’a justement intégré à ce programme de recherche de l’IRD de Montpelier.

Et puis l’étude des pollinisateurs est à valoriser, plus que jamais ! Là je n’ai pas eu suffisamment de temps, ça a été fait empiriquement. J’ai conçu un petit verger, des petites mares et des fleurs pour les attirer. J’évite de mettre des ruches trop près aussi des lieux de culture, pour laisser la biodiversité sauvage s’épanouir et j’observe.

Sinon, j’aimerais faire des enquêtes sur le territoire si on arrive à se dégager du temps. La multiplication des semences me passionne, mais j’affectionne particulièrement la recherche de variétés anciennes. Il faut tout noter, aller à la rencontre des gens sur le terrain, parler avec eux et valoriser les ressources du territoire. C’est plus stimulant que d’être seulement producteur.

SOL : Pour finir, si tu devais faire un bilan de ces 3 dernières années à la Ferme Sainte-Marthe Sologne, y’a-t-il quelque chose dont tu es particulièrement fier et que tu voudrais partager avec nous ?

Hangar de séchage du conservatoire de la Ferme Sainte-Marthe Sologne

Hangar de séchage du conservatoire de la Ferme Sainte-Marthe Sologne

Je suis content de voir l’évolution du conservatoire. Là on est dans une bonne dynamique avec les services civiques et Renaud, le jardinier, qui viennent d’arriver. Ils amènent une nouvelle vision et ça crée une nouvelle dynamique !

C’est sûr que pour moi le Conservatoire de la Ferme Sainte-Marthe Sologne me correspond bien actuellement car tout se construit. Avec le recul c’est ce que je souhaitais faire à la fin de mes études, c’est exactement ce qu’il me fallait. Tout s’est bien enchaîné. Je cherchais quelque chose d’alternatif, qui me permettrait remettre les mains dans la terre, de construire quelque chose.

Aujourd’hui, je suis vraiment autonome, en plus j’habite en campagne, c’est ce qui me fallait aussi de toute façon. En soi, ça ne me dérange pas du tout d’être éloigné des grandes villes.

SOL : Tu habites juste à côté de la ferme ?

Oui tout à fait ! J’essaye de venir le plus possible en vélo, c’est très appréciable d’autant plus que l’endroit est assez sauvage par les forêts et les nombreux étangs… Néanmoins le paysage est un peu plat à mon goût et assez pauvre. Je préfère les territoires plus riants et bien vert ! C’est pourquoi à plus ou moins long terme, j’aimerais bien créer mon lieu ailleurs, probablement dans le Centre Est de la France.

Luc Festival Miam

SOL : Et ce serait également un projet de conservation de semences ?

Oui c’est sûr ! Je vais prendre ma valeur ajoutée, la spécialisation que j’acquière qui sont les semences et c’est qui me tient à cœur en réalité ! Je pense me spécialiser davantage dans une activité semblable à celle des conservatoires régionaux qui reproduisent des variétés très locales et parfois très rares. Mais il faut qu’il y ait vraiment une valorisation sur le territoire avec les agriculteurs en créant des liens entre les maraîchers, qui reproduisent des semences, qui les multiplient, qui se les transmettent… Les idées ne manquent pas !

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