L’agroécologie au Sénégal

  Juin 2020

 

En janvier dernier, deux évèneme3aonts auxquels SOL a pu participer sont venus renforcer la mobilisation pour une transition agroécologique en Afrique de l’Ouest. L’Alliance pour l’Agroécologie en Afrique de l’Ouest (3AO) a organisé une réunion exceptionnelle à Dakar du 27 au 29 janvier. Des organisations paysannes de toute la région, des agences de développement, des centres de recherches et des représentants des institutions régionales et internationales se sont retrouvés pour faire le point sur les initiatives agroécologiques d’Afrique de l’Ouest et pour définir un plan d’action global.
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Yuna, Chargée de projets Afrique chez SOL aux Journées de l’Agroécologie à Dakar avec nos partenaire Mbayang Toure Sow, Responsable des Appuis Techniques et du Suivi-évaluation de la FONGS 

Juste après, les 30 et 31 janvier, la Dynamique pour la Transition Agroécologique du Sénégal (DyTAES) a organisé la troisième édition des Journées de l’Agroécologie, à Dakar également, pour sensibiliser la population à l’agroécologie et surtout pour partager avec les autorités publiques le document de contribution aux politiques nationales sur la transition agroécologique élaboré par la DyTAES et élaborer une feuille de route pour opérationnaliser ces recommandations. Les deux partenaires locaux de SOL, la FONGS (Fédération des ONG du Sénégal) et l’ONG des Villageois de Ndem ont aussi participé, et les deux projets de SOL au Sénégal que nous présenterons plus loin ont été sélectionnés pour être présentés lors de ces Journées.

 

Ces événements s’inscrivent dans une volonté de transition agricole en Afrique de l’Ouest et plus particulièrement au Sénégal, où se multiplient les alternatives agroécologiques, même si elles restent encore isolées et à petite échelle. Cette transition apparaît essentielle pour parvenir autant à une sécurité alimentaire durable qu’à une résilience face au changement climatique, mais le défi reste de taille.

 

Une agriculture conventionnelle inadaptée aux défis actuels

Au Sénégal, comme dans de nombreux pays d’Afrique, les politiques agricoles mises en place au lendemain des indépendances des années 1960 se sont largement inspirées des modèles occidentaux de la « Révolution Verte ». Ces modèles sont caractérisés par l’utilisation de produits agrochimiques (pesticides et engrais chimiques), la monoculture, la mécanisation ou encore l’utilisation de semences « améliorées ». Ces pratiques ont alors été perçues comme un moyen de résoudre le problème de la faim en Afrique, alors même que les productions étaient et sont toujours souvent destinées à l’exportation.
Les monocultures, notamment d’arachide, servent principalement à nourrir l’Europe et d’autres régions du monde, et ont donc été encouragées au détriment des cultures vivrières.

Force est de constater aujourd’hui que cette agriculture conventionnelle peine à assurer les besoins alimentaires de la population sénégalaise, dont environ 20 % a encore du mal à manger à sa faim.

Ce modèle agricole a de nombreuses conséquences sociales pour les petit·es agriculteurs·trices, qui souffrent des maladies causées par l’utilisation des produits agrochimiques et qui s’endettent en devenant dépendant·es des intrants chimiques et des semences des multinationales. L’agriculture ne leur permet pas d’assurer une autonomie et un revenu suffisant, les poussant donc à l’exode rural et faisant disparaître les savoirs faire traditionnels adaptés aux conditions locales.

 

L’agriculture industrielle a aussi des impacts négatifs sur l’environnement, entraînant des émissions de gaz à effet de serre, l’appauvrissement des sols, la raréfaction des ressources naturelles, la déforestation et l’effondrement de la biodiversité.

 

Expérimentation aubergine
La Révolution verte est néanmoins loin d’avoir abouti dans le pays, à cause notamment d’un manque de  moyens pour investir. L’agriculture familiale représente encore 95 % des exploitations ; la majorité du secteur reste peu mécanisée et l’utilisation d’intrants chimiques et beaucoup moins massive qu’en Europe par exemple. Les petits exploitants peinent cependant souvent à assurer une production suffisante pour répondre à leurs besoins et assurer des revenus stables.

 

L’agriculture sénégalaise doit aujourd’hui faire face à de nombreux défis, tels que des difficultés d’accès aux moyens de production, l’augmentation démographique, la désertification et le changement climatique. Le système agricole industriel est loin d’être adapté pour répondre à ces défis, qu’il a au contraire tendance à aggraver. C’est pourquoi il est progressivement remis en question au profit d’une transition vers un autre modèle : l’agroécologie.

 

Le Sénégal, fer de lance de l’agroécologie au Sahel

L’agroécologie paysanne est un ensemble de techniques agricoles permettant de préserver les ressources naturelles tout en redonnant une autonomie aux producteurs et productrices, qui reprennent le contrôle des semences, des terres, de l’eau et des savoirs. Cette pratique prend en compte les conditions locales de chaque territoire et s’adapte donc mieux aux aléas climatiques.

 

20180716_Mustapha Diop EF (12)Cette approche apparaît donc comme une des solutions pour faire face à l’insécurité alimentaire et à l’épuisement des écosystèmes en Afrique. En 2008 déjà, une conférence intitulée « Agriculture écologique : atténuer le changement climatique, assurer la sécurité alimentaire et l’autonomie pour les sources de revenus ruraux en Afrique » avait eu lieu à Addis-Abeba en Éthiopie, organisée par l’UA (Union Africaine) et la FAO (Food and Agriculture Organization).

 

Le Sénégal en particulier voit peu à peu de nouvelles initiatives apparaître en matière de transition agricole, et il a été choisi en 2015 par la FAO comme pays pilote pour l’agroécologie. La même année, Dakar a abrité le premier séminaire panafricain sur l’agroécologie, rencontre qui s’est conclue par une série de recommandations, notamment la nécessité pour les gouvernements d’impulser une phase de transition agroécologique. La période actuelle est par ailleurs particulièrement favorable à une transition agricole au Sénégal, puisque celle-ci fait partie des cinq principales initiatives du programme politique du gouvernement pour les cinq ans à venir.

 

Depuis quelques années, le Sénégal est donc devenu le terrain privilégié pour des projets agricoles d’acteurs internationaux et régionaux. L’association SOL coordonne plusieurs initiatives en cours dans le pays en partenariat avec des ONG locales, afin de développer des modèles agroécologiques pour faire face à la pauvreté des milieux ruraux et répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire et de protection de l’environnement.

 

SOL coordonne ainsi depuis 2018 le projet Biofermes Sénégal avec l’ONG des villageois de Ndem dans la région de Louga. Il s’agit tout d’abord de créer une ferme de formation à l’agroécologie pour expérimenter et partager des techniques de production adaptées aux conditions locales, en formant les paysan.nes de la zone. 200 paysan.nes bénéficieront ainsi de ces formations entre 2020 et 2022.

 

Le projet a également permis la mise en place d’une maison de semences paysannes, avec pour objectif la formation de 200 agriculteurs·trices à la conservation et à la multiplication des semences. Ce volet sert à collecter et sauvegarder les semences locales en voie de disparition et à identifier les plus résilientes face aux changements climatiques pour les réintroduire dans les champs des paysans qui s’engagent à les reproduire.
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Il est donc essentiel pour diversifier l’agriculture et protéger la biodiversité, tout en se préparant à lutter contre le réchauffement climatique et la désertification

 

L’objectif du projet Biofermes est aussi de favoriser l’échange d’expériences et de savoir-faire ; c’est dans cette optique que sont sensibilisés 750 élèves et environ 1200 visiteurs par an. De plus, un réseau d’acteur.rices promouvant l’agroécologie au Sénégal est mis en place, et des échanges avec d’autres fermes au Sénégal et en Afrique de l’Ouest, mais aussi en Inde et en France, sont organisés dans le cadre du projet Biofermes Internationales. Cette sensibilisation est indispensable pour encourager la connaissance de l’agroécologie et la prise de conscience des enjeux de protection des ressources et de souveraineté alimentaire.

 

Un autre projet mis en place par SOL, en partenariat avec la FONGS, est la valorisation des céréales locales. L’objectif est de renforcer la souveraineté alimentaire, l’emploi rural et le travail des femmes dans plusieurs régions.

 

Il s’agit d’utiliser des céréales traditionnelles produites localement pour réduire la dépendance aux importations céréalières. Le projet a d’abord connu une première phase entre 2015 et 2018. Cette phase a permis à 150 exploitations familiales d’être formées à l’agriculture durable et d’augmenter leurs récoltes et leurs ventes. Elles fournissent leur production aux trois minoteries qui ont été créées pour transformer les céréales (mil et maïs) en farine. De plus, 36 boulangers ont appris à incorporer des céréales locales à leurs préparations et 180 femmes vendent désormais des produits à base de ces céréales chaque semaine. L’initiative a également favorisé la sensibilisation de 6 000 personnes dans 85 villages et la concertation des acteurs en faveur des productions locales à l’échelle nationale. Quant à la phase 2, s’étalant de 2019 à 2021, elle s’inscrit aussi dans le renforcement et la pérennisation de la filière des céréales locales dans toutes les étapes du processus de production par la formation d’exploitations familiales, de minoteries, de boulangers et de transformatrices. Là aussi, le volet sensibilisation prend toute son importance, avec la mise en réseau des producteurs, transformatrices et boulangers, des actions de plaidoyer politique au niveau national et régional, et la communication auprès des villageois·e·s pour inciter à la consommation de produits à base de céréales locales.

 

Des plans d’action pour approfondir la transition agroécologique

Les nombreuses initiatives agroécologiques au Sénégal sont très prometteuses, mais doivent encore répondre à de multiples défis. Elles restent isolées, progressent lentement et manquent souvent de financement, de coordination et de visibilité. Pour tenter de faire face à ces obstacles, les deux évènements de janvier (les Journées de l’agroécologie au Sénégal et la Réunion de la 3AO à Dakar) ont cherché à identifier les défis majeurs pour l’agroécologie au Sénégal et ont proposé des plans d’action pour l’avenir.
Clotilde, Déléguée Générale de SOL aux Journées de l'Agroécologie à Dakar

Clotilde, Déléguée Générale de SOL aux Journées de l’Agroécologie à Dakar avec des membres de la FONGS

A l’issue des Journées de l’Agroécologie, la DyTAES a remis au Ministre de l’Environnement et du Développement Durable du Sénégal, Abdou Karim Sall, un rapport intitulé « Contribution aux politiques nationales pour une transition agroécologique au Sénégal ». Ce rapport analyse la situation de l’agriculture dans le pays et propose des recommandations pour la transition agroécologique du Sénégal.

Le rapport de la DyTAES préconise ainsi quatre grandes orientations pour favoriser la transition agroécologique du pays :
  • Améliorer et sécuriser les bases productives (ressources naturelles, semences, biodiversité, …)
  • Accroître durablement la productivité (par exemple en facilitant l’accès aux intrants biologiques ou à du matériel de qualité)
  • Promouvoir les produits issus de l’agroécologie
  • Améliorer la gouvernance et le financement d’une transition agroécologique à grande échelle
Sur le court terme, la DyTAES préconise la mise en place d’un cadre de dialogue national entre différents acteurs pour construire une politique nationale, l’appui financier des expérimentations locales et la mise en œuvre de mesures immédiates pour accélérer la transition agroécologique (comme la subvention des biofertilisants ou la réduction du prix de l’eau productive).
Quant à la Réunion de l’Alliance pour l’Agroécologie en Afrique de l’Ouest, elle a permis à l’ensemble des acteurs présents de travailler collectivement sur un plan d’action et de discuter d’un certain nombre de possibilités de partenariat au niveau régional, avec notamment le programme d’agroécologie de la CEDEAO, l’Initiative de passage à l’échelle supérieure de l’agroécologie de la FAO et l’Initiative pour l’agriculture écologique et biologique de l’Union africaine.

 

La transition vers l’agroécologie semble donc bien amorcée au Sénégal et plus largement en Afrique de l’Ouest

 

Elle reste cependant inachevée et doit faire face à de nombreux défis, qui ne peuvent être surmontés que par des initiatives locales comme celles menées par SOL et par la collaboration de différents acteurs (issus du monde rural, politique, de la recherche et de la société civile) et de différentes échelles d’action (locale, nationale, régionale, internationale). C’est grâce à une coordination des actions et un partage des expériences que l’on pourra aller vers des modèles agroécologiques et une souveraineté alimentaire des peuples.

 

Article écrit par Marion Bessol, bénévole chez SOL

 

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